Christiane Desjardins
La Presse
Coupable de meurtres prémédités. Comme un couperet, ce verdict s'est abattu sur Mohammad Shafia, son épouse Tooba Yahya, et leur fils Hamed, cet après-midi, à Kingston. Pour la première fois, Hamed, le fils de 21 ans, s'est effondré dans le box des accusés.
Dans la salle d'audience bondée, la tension était extrêmement élevée. La défense a voulu savoir si chacun des jurés était d'accord avec le verdict. À tour de rôle, en commençant par le juré numéro douze, ils se sont levés et ont répondu «oui.» L'un d'eux, un homme, a servi un «oui» bien senti, en dardant les accusés d'un regard de feu. Une jeune jurée a pleuré.
Le juge Robert Maranger a demandé aux jurés s'ils avaient quelque chose à dire. «Nous ne sommes pas des criminels, nous ne sommes pas des meurtriers, c'est injuste», a lancé Mohammad Shafia, par l'entremise d'un interprète.
«Ce n'est pas juste. Je ne suis pas une meurtrière, je suis une mère», a dit Tooba Yayha, son épouse.
«Je n'ai pas noyé mes soeurs nulle part», a affirmé Hamed.
Prenant brièvement la parole, le juge Robert Maranger a indiqué que les accusés avaient été condamnés de meurtres prémédités qui étaient supportés par la preuve. «Il est difficile de concevoir des crimes plus haineux, plus dépravés et dénués d'honneur que les meurtres, dans le cas de Mohammad Shafia, de ses filles et de sa femme, dans le cas de Tooba, de ses filles et de sa co-femme, et dans le cas d'Hamed, de ses soeurs et de sa mère. Rona, on le sait, avait co-élevé les sept enfants que Mohammad avait eus avec Tooba.
Le juge a parlé de meurtres exécutés de sang-froid, et d'une conception maladive de l'honneur. «Des crimes haineux», qui valent automatiquement la prison à vie, a ajouté le juge.
Les victimes, Zainab, 19 ans, Sahar, 17 ans, Geeti, 13 ans, et Rona, 53 ans, ont été trouvées noyées dans une Nissan Sentra au fond de l'écluse de Kingston Mills, le matin du 30 juin 2009. La famille de dix revenait d'un voyage d'agrément à Niagara au moment de la tragédie. La Couronne a toujours pensé que les victimes étaient mortes ou inconscientes quand la voiture a été poussée dans l'eau.
Le procureur de la Couronne Gerard Laarhuis s'est adressé aux médias à l'extérieur du palais, après le verdict. «C'est un bon jour pour la démocratie, qui protège les droits de tout le monde. C'est un jour très triste, car le jury a trouvé que quatre femmes fortes, enjouées, éprises de liberté, ont été tuées par leur propre famille.»
«C'est un mensonge, a crié quelqu'un dans la foule. C'est une injustice.» Il s'agissait de Moosa Hadi, cet étudiant de l'Université Queens qui s'était improvisé enquêteur, en 2009, et qui avait enregistré une déclaration d'Hamed quand celui-ci était en prison. Il a continué de crier à l'injustice, pendant que Me Laarhuis poursuivait son allocution. La foule s'est mise à huer Moosa Hadi. Des policiers sont intervenus et l'ont amené plus loin.
«On pense tous à ces quatre femmes qui sont mortes inutilement. Ce message envoie un message très clair sur nos valeurs canadiennes et les principes de justice dans un pays libre et démocratique», a poursuivi Me Laarhuis.
Une trentaine de minutes après le verdict, les Shafia sont sortis pour la dernière fois du palais de justice, pour monter dans le fourgon cellulaire qui allait les ramener en prison. Une foule compacte s'agglutinait autour pour les voir partir.
«Wrong, wrong», a dit Mohammad Shafia, avant de s'engouffrer dans la camionnette.
Le jury les a trouvés coupables, et il n'y a absolument pas d'autre mobile que celui de crimes d'honneur, comme l'ont toujours soutenu la Couronne et la police.